Transformer les plantes locales en matériaux pour construire l’habitat de demain
Chaque année, le secteur du bâtiment consomme près de 50 % des ressources naturelles extraites dans le monde. Bois, sable, ciment, acier… Notre modèle actuel repose sur des matériaux lourds, polluants, souvent importés, rarement renouvelables.
Et pourtant, la nature nous offre des alternatives durables, locales, à portée de main : les fibres végétales. Issues de plantes à croissance rapide, disponibles sur tous les continents, elles permettent d’isoler, de construire, de renforcer, d’aménager, tout en stockant du carbone.
À La Réunion, où la dépendance aux matériaux importés est un frein à la résilience du territoire, la valorisation des plantes locales peut transformer le paysage du bâtiment.
Cultivé depuis des millénaires, le chanvre est aujourd’hui l’un des matériaux biosourcés les plus utilisés en écoconstruction. Sa fibre, très résistante, sert à fabriquer des panneaux isolants, et sa chènevotte (la partie ligneuse) entre dans la composition du béton de chanvre, un matériau léger, respirant, et à très faible impact carbone.
🎉 En 2024, le chanvre a enfin son prix national.
La première édition du Prix National de la Construction en Chanvre (PNCC) a été lancée pour valoriser les projets exemplaires intégrant ce matériau biosourcé dans le bâtiment. Neuf, rénovation, habitat collectif ou tertiaire : les lauréats démontrent que le chanvre peut répondre à une diversité de contextes, avec des performances techniques et environnementales remarquables. Ce prix marque une étape clé dans la reconnaissance du chanvre comme matériau d’avenir pour la construction durable en France.
💡 Exemple concret : À Amiens, dans le quartier Étouvie, la médiathèque livrée en 2023 incarne une nouvelle génération de bâtiments publics écoresponsables. Lauréate du Prix National de la Construction en Chanvre 2024 dans la catégorie "construction neuve", elle a été conçue par l’agence Béal & Blanckaert pour le compte d’Amiens Métropole. Le bâtiment utilise du béton de chanvre projeté, une technique qui combine chaux et chanvre pour offrir une isolation performante, une régulation naturelle de l’humidité, et un confort thermique sans surconsommation d’énergie. Ce choix de matériau biosourcé contribue à réduire considérablement l’empreinte carbone de la construction, tout en assurant une excellente qualité de l’air intérieur, essentielle pour un équipement accueillant du public. Ce projet démontre que le chanvre peut répondre aux exigences esthétiques, techniques et environnementales d’un équipement culturel contemporain.
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📌 Et à La Réunion ? La culture reste compliquée pour des raisons réglementaires, mais des expérimentations en climat tropical humide sont en cours, notamment à Maurice et en Afrique de l’Est. Si ces essais sont concluants, le chanvre pourrait devenir une ressource locale stratégique.
Le bambou est une merveille d’ingénierie naturelle. En Asie, il est utilisé depuis des siècles pour construire des maisons, des ponts, des échafaudages, et même des écoles. En plus de pousser extrêmement vite (jusqu’à un mètre par jour), permettant des cycles de récolte courts (3 à 5 ans), il capte jusqu’à 30 % de CO₂ de plus qu’une forêt feuillue équivalente. À la fois léger et très résistant (jusqu’à 370 MPa en traction), il rivalise avec l’acier doux tout en offrant une souplesse naturelle qui le rend adapté aux zones sismiques ou cycloniques. Polyvalent, il se transforme en rondins, panneaux, fibres ou composites, et s’utilise dans la construction comme dans le mobilier ou la décoration. Bien traité, il résiste aussi à l’humidité, aux insectes et aux champignons.
💡 Exemple concret : À Bali, le studio Ibuku conçoit des bâtiments spectaculaires en bambou, comme la célèbre Green School, qui allie performance, esthétique et durabilité dans un écosystème éducatif unique. Cette école internationale a été construite presque entièrement en bambou géant local (Dendrocalamus asper), mariant savoir-faire artisanal et ingénierie moderne. Conçus pour minimiser l’énergie grise, les bâtiments tirent parti de la ventilation naturelle et de formes organiques pour offrir un confort sans climatisation.
Au-delà de l’architecture, la Green School incarne un écosystème vivant et inspirant. Elle stimule la créativité et la sensibilité écologique des élèves tout en dynamisant une filière locale du bambou impliquant artisans, architectes et chercheurs. C’est un modèle reproductible pour les climats tropicaux, qui montre qu’il est possible de construire autrement, avec des ressources locales et renouvelables.
🔗 En savoir plus sur la Green School
📌 À La Réunion, le bambou est déjà présent à l’état sauvage et cultivé. Il reste cependant peu valorisé en construction. Des initiatives comme celle du collectif Terre et Bambou explorent les usages artisanaux, mais le potentiel reste immense pour créer des structures légères, climato-résilientes et locales.
Chaque année, des millions de tonnes de bananiers sont coupés après la récolte. Or, leur tige (le pseudo-tronc) est une mine de fibres longues, souples et résistantes. Autrefois jetées ou brûlées, ces fibres sont aujourd’hui revalorisées dans des matériaux haut de gamme pour le design et l’architecture intérieure.
💡 Exemple concret : À La Martinique, l’entreprise FibandCo a mis au point Green Blade®, un placage décoratif 100 % fibre de bananier, sans colle, issu de rejets agricoles. Utilisé dans l’agencement intérieur (murs, meubles, plafonds), ce matériau allie esthétique, circularité et impact social local. FibandCo exporte aujourd’hui ses produits dans plus de 30 pays et a été primée pour son innovation à plusieurs reprises.
🔗 Pour en savoir plus : FibandCo – Green Blade®
📌 À La Réunion, où la culture de la banane est bien implantée, la réplicabilité du modèle de FibandCo pourrait ouvrir la voie à une valorisation industrielle locale, en lien avec l’aménagement intérieur, le design tropical, ou le second œuvre biosourcé. Des initiatives comme celle portée par l’association RUNFABRIK, qui explore leur intégration dans des objets et des matériaux est déjà en cours.
Cultivée dans plus de 100 pays, la canne à sucre produit chaque année des millions de tonnes de bagasse – ce résidu fibreux issu de l’extraction du jus. Longtemps considérée comme un simple déchet, la bagasse s’impose aujourd’hui comme une matière première renouvelable, légère, isolante et à faible empreinte carbone.
💡 Exemple concret : Au Royaume-Uni, l’Université d’East London a développé le Sugarcrete™, une brique modulaire à base de bagasse compressée, capable de remplacer le béton dans certaines applications. Résultat : un matériau bas carbone, réutilisable, facile à assembler, et jusqu’à 20 fois moins émissif que le béton traditionnel.
🔗 Source : Sugarcrete – University of East London
📌 À La Réunion, où la filière canne reste essentielle à l’économie agricole, la bagasse est déjà utilisée pour produire de l’énergie. Mais son potentiel en construction reste largement sous-exploité. Le développement de matériaux biosourcés comme Sugarcrete ouvre la voie à une nouvelle valorisation locale de ce co-produit.
🌴 Chaque année, des millions de noix de coco sont récoltées à travers le monde, mais leur enveloppe fibreuse, le coir, est souvent brûlée ou jetée. Pourtant, cette fibre brune, naturellement résistante à l’eau, aux insectes et à la moisissure, peut devenir un matériau d’isolation acoustique et thermique idéal, notamment pour les zones humides et cycloniques.
💡 Exemple concret : Coco Hitech, basée au Vietnam, développe des solutions d'isolation thermique et acoustique à partir de fibres de coco. Leurs produits incluent des panneaux rigides et des matelas en fibre de coco, adaptés à l'isolation des murs, toitures et planchers. Ces matériaux offrent une bonne résistance à l'humidité et aux nuisibles, tout en étant biodégradables et respectueux de l'environnement.
Le choka (Agave spp.), introduit à La Réunion au XIXe siècle, est souvent considéré comme une plante envahissante. Pourtant, ses longues feuilles contiennent des fibres ultra-résistantes, historiquement utilisées pour fabriquer des cordes et des sacs de jute.
💡 Exemple concret : Des recherches menées par l’Université de La Réunion et le CIRBAT ont montré que la fibre de choka peut être intégrée dans des bétons fibrés, améliorant leur performance mécanique, tout en valorisant une plante sous-exploitée.
📌 Encore au stade de prototype, la fibre de choka pourrait devenir une solution low-tech pour renforcer des mortiers ou créer des matériaux composites biosourcés, parfaitement adaptés au climat local.
🔗 Source : CIRBAT – Recherches sur les matériaux locaux
🔗 Thèse sur choka et ananas – Université de La Réunion, laboratoire PIMENT
Pour que ces fibres s’intègrent pleinement dans la construction locale, plusieurs étapes sont nécessaires :
Un projet autour des fibres végétales ? Une envie d’innover en construction tropicale ?
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