
Et si La Réunion valorisait le bambou, cette graminée ligneuse qui pousse déjà partout sur l’île, pour bâtir, meubler, protéger les sols et créer des emplois locaux ? Matériau bas-carbone, disponible et adapté au climat tropical, il ouvre une voie très concrète vers plus d’autonomie et de sobriété.
À l’heure où la plupart des matériaux de construction arrivent par bateau, le bambou propose un renversement simple : produire ici ce que l’on consomme ici.
Pourtant, entre la tige brute et le matériau utilisable, il reste un espace à structurer : planter, récolter, transformer, normaliser. C’est là que se joue l’autonomie du territoire.
Des artisans, agriculteurs, designers et architectes se rassemblent déjà autour de cette ambition commune : transformer la ressource naturelle en matériau péï fiable et reconnu, capable d’alimenter des filières locales de construction et d’aménagement. L’enjeu n’est pas seulement écologique ; il est aussi social et économique, car il touche à l’emploi, à la formation et au pouvoir d’agir des territoires.
Importer pour construire, dépendre pour durer : le paradoxe réunionnais saute aux yeux.
Cette dépendance quasi totale aux matériaux importés fragilise les chantiers et alourdit les coûts, tout en maintenant l’île à distance de ses propres ressources. Les normes et cadres techniques, eux, restent largement pensés pour des matériaux industriels venus d’ailleurs — acier, béton, PVC — laissant peu de place aux solutions locales pourtant disponibles.
Entre la ressource brute et le matériau normé, il manque encore une passerelle : un espace où l’on puisse expérimenter, qualifier et fiabiliser les matières péï.
Le Plan de Filière Bambou 2020-2030, porté par le CAUE et EnviroBAT Réunion, s’attache à combler ce vide. Il trace une trajectoire concrète, de la culture à la transformation, pour faire du bambou une ressource constructive reconnue et documentée sur le territoire.
Le bambou n’est pas qu’un symbole d’écologie tropicale : c’est une matière aux résistances élevées, avec un excellent rapport rigidité/masse, qui devient un véritable matériau dès lors qu’on la refend, calibre et assemble.
Mais au-delà de la latte, tout est valorisable : la tige pour la structure, la fibre pour les composites, les nœuds pour le design. Cette polyvalence en fait une ressource totale, capable d’alimenter à la fois le bâtiment, le mobilier et la création.
Cette logique de standardisation et de valorisation intégrale ouvre la voie à la préfabrication locale, à la réparation, au transport à plat et, demain, à une production en série de kits modulaires.
Sur l’île, les formations, chantiers-écoles et prototypes posent déjà les bases d’un vocabulaire commun entre concepteurs, fabricants et formateurs : une étape essentielle avant toute industrialisation.
L’expérience internationale montre la voie.
En Indonésie, en Inde ou au Vietnam, le bambou est déjà un matériau de construction majeur : charpentes, passerelles, habitations ou mobilier issus de procédés à la fois artisanaux et low-tech.
Des initiatives comme Ibuku à Bali, Vo Trong Nghia au Vietnam ou Bamboo U au Costa Rica démontrent comment des ateliers de transformation légers, associés à une forte culture du prototypage, permettent de franchir le passage à une construction contemporaine maîtrisée et reproductible.
En Afrique de l’Est, des coopératives s’appuient sur le bambou pour la reforestation, la production de mobilier scolaire ou d’éléments de voirie. Ces expériences montrent qu’une filière locale ne repose pas sur de lourdes infrastructures, mais sur un maillage d’ateliers, une formation partagée et une documentation ouverte.
En France hexagonale, des réalisations remarquables intègrent le bambou à travers des projets comme la canopée géante, plus grande structure en bambou d'Europe, installée à Angers dans le parc Terra Botanica, ou encore la gare Saint-Jean de Bordeaux dont le parquet a été conçu en bambou, démontrant la résistance et la stabilité de ce matériau.
C’est cette approche souple, progressive et ancrée dans les territoires que La Réunion peut adapter à ses essences, à son climat et à ses besoins.

Dans un travail de fin d’études mené à La Réunion, la serre en bambou devient un démonstrateur grandeur nature.
L’étude explore les formes possibles, les assemblages, l’intégration de panneaux photovoltaïques servant d’ombrage pour les cultures, et teste la durabilité du matériau en conditions réelles.
Cette approche — prototyper, mesurer, améliorer — illustre parfaitement la voie d’apprentissage par le faire.
Le bambou inspire également le mobilier et la micro-architecture : cloisons ajourées, bureaux modulaires, pergolas, tables ou assises hybrides.
Ces réalisations, souvent issues de workshops et de chantiers-écoles, permettent de valider les assemblages, la stabilité et la répétabilité des pièces — autant d’étapes nécessaires avant le passage à la construction à plus grande échelle.

Sur le terrain, un écosystème bambou se dessine peu à peu.
Dans les hauts de Saint-Paul, La Bambousaie de Guillaume fait figure de pionnière. On y cultive et prépare différentes espèces tropicales, contribuant à mieux connaître la ressource et ses usages. Ce domaine, ouvert au public, montre que le bambou peut être à la fois patrimoine vivant et laboratoire de matière (voir le reportage Réunion La 1ère).
Plus largement, certaines collectivités de l’Ouest — Saint-Paul, le TCO, avec l’appui du CAUE — amorcent des démarches autour de la valorisation du végétal et de l’usage de matériaux biosourcés.
Le TCO, via l’association ÉCHOBAT Réunion, soutient une étude de faisabilité technique et économique pour structurer la pré-filière bambou-construction. Le pôle Qualitropic a diffusé la fiche technique « Ossature bambou », première synthèse locale des bonnes pratiques d’assemblage et de mise en œuvre.
À l’ENSA Réunion, la formation des futurs architectes s’ouvre désormais aux matériaux péï. Le Workshop Bambou 2025, conduit avec Fabrik by Alvéoles et Bambooneem.re, s’inscrit dans cette dynamique : un chantier-école où conception, expérimentation et fabrication s’articulent autour du bambou comme ressource constructive.
Dans la continuité, Fabrik by Alvéoles développe le projet Rhizome, une capsule de recherche-design mêlant bambou, panneaux recyclés et assemblages low-tech, actuellement en phase de conception numérique.
L’objectif : préfigurer une petite collection locale, légère et modulaire, issue de ces apprentissages partagés autour de la matière.


Le chantier est ouvert, mais les priorités sont claires.
D’abord, assurer la qualité de la matière : planter, récolter les cannes à maturité (bûcheronner), maîtriser les traitements, le séchage et la traçabilité.
Ensuite, structurer les unités de première transformation : refente, rabotage, calibrage — les étapes clés qui permettent d’obtenir des lattes régulières, prêtes à l’usage dans les ateliers. C’est ce passage de la ressource au matériau qui conditionne la fiabilité, qu’il s’agisse d’un meuble, d’une pergola ou d’une structure légère.
Dernier enjeu : documenter et mutualiser. Produire des fiches de conception, mesurer les performances, partager les retours d’expérience. Ces données, croisées aux essais de terrain, nourriront à terme des référentiels techniques et assurables, indispensables pour la crédibilité de la filière.
Mais au-delà des normes et des machines, il s’agit surtout de fédérer une communauté d’usage : artisans, architectes, formateurs, agriculteurs, étudiants.
Car le bambou n’est pas seulement un matériau d’avenir ; c’est un levier collectif pour construire une île plus autonome, créative et résiliente.
📌 Le bambou n’est pas un symbole mais un matériau : il devient un matériau d’ingénierie et de création dès qu’on apprend à le transformer dans toutes ses dimensions — de la tige à la fibre. ;
📌 La Réunion peut gagner en autonomie par des premières applications concrètes visibles — mobilier, pergolas, modules, serres — qui tirent la filière ;
📌 La crédibilité passera par des prototypes instrumentés, des guides de mise en œuvre et la montée en compétences partagée.
Vous êtes agriculteur (sans bambou, pas de bambou..), atelier, designer, architecte, collectivité ou structure d’insertion : rejoignez les démonstrateurs en cours — mobilier Rhizome, pergolas et locaux vélos démontables, serres test — pour bâtir la filière bambou péï à partir d’usages réels. Un mail, un site pilote, et on démarre !
📘 Plan de filière Bambou 2020-2030
CAUE de La Réunion & EnviroBAT Réunion (2021).
Référence stratégique pour le développement du bambou à La Réunion : planter ; collecter ; transformer. Le rapport identifie les espèces locales et prône la standardisation par la latte pour structurer une filière durable et normée.
📗 Fiche technique “Ossature bambou”
Qualitropic (2022), avec l’appui de l’ENSA La Réunion et du réseau Bambooneem.re.
Une synthèse des bonnes pratiques d’assemblage et de mise en œuvre : sections, ancrages, traitements et conception en contexte cyclonique.
📙 Mémoire PFE – “Serres anticycloniques en bambou à La Réunion”
Adèle Guerri-Grammont, ENSA La Réunion (2021).
Une étude pionnière sur les structures agricoles légères en bambou : performances mécaniques, coûts comparés et intégration de toitures photovoltaïques souples.
📒 Workshop Bambou 2025 – Chantier-école ENSA La Réunion
Cahier des charges : Fabrik by Alvéoles (2025) – Réalisation : ENSA La Réunion, France Design Week 2025 – Pilotage : Bambooneem.re
Un atelier collaboratif autour du mobilier et de la micro-architecture en bambou, réunissant étudiants, designers et artisans dans une approche low-tech et pédagogique.
📕 Projet Rhizome – Pistes de prototypage et design low-tech
Fabrik by Alvéoles (2025) et Bambooneem.re
Une capsule de recherche-design à la croisée du bambou, des panneaux recyclés et des systèmes d’assemblage low-tech. Les premiers prototypes restent discrets… prémices d’une collection péï à venir.
Pour aller plus loin

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